Lorsque, en 1969, Harald Szeemann organise à Berne l’exposition Quand les attitudes deviennent forme, il ouvre un vaste espace de réflexion dans le champ de l’art contemporain. L’œuvre de Adiba Mkinsi développe quant à elle un questionnement esthétique qui pourrait se résumer par la proposition : quand la méditation prend forme.
L’art de cette artiste participe d’un mouvement réflexif de l’esprit pour lequel la forme créée n’est plus assujettie aux caprices de l’expression personnelle, ni aux jeux formalistes, mais répond à de plus hautes exigences. Par une savante et subtile voie médiane, son œuvre empreinte des registres prétendument opposés, et en opère la synthèse avec raffinement. D’une part, nous avons affaire à une composante géométrique, à des formes épurées, parfois proches de la modélisation mathématique. Or, cette sorte de perfectionnisme de la forme sculptée n’est pas le fruit d’un modèle préexistant ou d’un plan préétabli – puisque l’artiste ne réalise aucune esquisse – mais s’avère être l’aboutissement de sa recherche. D’autre part, l’expressivité est moins celle du moi que du soi, c’est-à-dire qu’elle présente un caractère plus ouvert à l’impersonnel, à la transcendance, et présente les caractéristiques d’un art métaphysique.
Le processus créateur qui s’apparente ici à une transmutation alchimique prend sa source dans une confrontation avec la matière. Par la médiation du toucher, lors de ce contact premier, archaïque, la matière va révéler sa nature organique. Sans crayon ni papier, l’artiste dessine donc dans l’espace avec ses mains. Ce corps à corps est un moment fondateur, mais non ultime, car la forme ébauchée, massive, qui déjà porte en elle la forme d’un rêve d’élévation, appartient encore aux forces obscures, inconscientes, comme non venues au jour. On y devine un travail des profondeurs, et peut-être de hautes luttes avec des forces contraires. Le second temps qui survient est celui que l’artiste nomme elle-même la torsion. Plastiquement, la forme est étirée, elle prend son élan, s’achemine vers son sens, et se trouve innervée, tantôt arc tendu, parfois spirale repliée sur elle-même, ou d’autres déclinaisons que l’énergie instille. À ce stade, la méditation a donné sa forme à l’œuvre qui va atteindre sa plénitude par un travail sur les arêtes, donnant un tranchant si particulier à cette œuvre. Désormais, les ombres jouent leur partition avec précision, le volume a atteint sa vocation de récepteur de lumière. Par la justesse des rapports, par sa force et son équilibre interne, et indépendamment de ses dimensions effectives, l’œuvre atteint au monumental. Chaque sculpture est le fruit d’un exercice patient, humble mais puissant, de transposition d’une méditation métaphysique infusée dans la matière. Lorsque, au terme du processus créateur, cette méditation est devenue forme, l’œuvre qui en est la gardienne vient offrir en partage le dépassement des contraires. Force et douceur, ombre et lumière, géométrie et sensualité, silence et éloquence. Dès lors, ces blocs de silence et d’harmonie que sont les sculptures de Adiba Mkinsi semblent poser la question de Carl Gustav Jung : Te réfères-tu ou non à l’infini ?