1995 APRÈS LES LONGUES NUITS
Il faudrait imaginer les longues nuits de l’hiver islandais, la désolation du paysage, la surface gelée du sol balayée par les vents, et cette omniprésence du noir, obsédante, abyssale. Noir : un peu plus qu’une couleur, un espace comme un vertige, comme une
menace d’être englouti.
Le séjour de Simone Stoll à Reykjavik a profondément influencé son œuvre peint. La perception à perte de vue des espaces lointains a provoqué le basculement de la toile du format vertical vers le format horizontal. Celui-ci donne une plus grande amplitude spatiale aux peintures qui sont d’abord de vastes surfaces monochromes aux nuances subtiles. La couleur vient en premier affirmer son pouvoir expressif. « Les couleurs montent » précise Simone Stoll en indiquant son propre corps. Nous comprenons que la couleur s’origine au plus intime, tout en demeurant par nature – premier paradoxe – un langage universel. À ce stade de son travail, un laps de temps est nécessaire pour que se développe et s’affirme la présence humaine. Le choix des sujets ou motifs est conditionné par les interactions entre le format et la couleur. C’est à partir du fond que va naître la forme et que seront déterminés son emplacement et son échelle. Le traitement linéaire des corps répond à un besoin d’écarter toute anecdote relative à l’histoire des modèles. C’est ainsi que l’etre dépersonnalisé, mais non désincarné, va s’affirmer comme un archétype. La répresentation du corps donne la mesure du tableau, donne la mesure du monde. On constate d’ailleurs que les œuvres d’où le corps est absent comportent des artifices impliquant l’acte de mesurer ou délimiter un espace : chiffres, cadrage, etc.
La figure humaine tantôt affirmée par le contraste chromatique le plus fort, tantôt mêlée avec la couleur du fond, aux limites du perceptible, affirme toujours une dimension de solitude existentielle. L’individu est projeté dans un espace qui risque tout moment de menacer son intégrité. Il se confronte à l’inconnu qui l’entoure et le dépasse de toutes parts. Mais ce constat n’est pas désespéré, ni nihiliste, car se confronter au vide – second paradoxe – c’est échapper au non-sens. « C’est aussi avec l’inconnu que je comprends mieux mon histoire » déclare Simone Stoll.
Contexte : Exposition Espace Sainte Catherine, Aix-en-Provence 1996
Commanditaire : Simone Stoll
Publication : Catalogue Culture & Entreprise 1996
Iconographie : Site Simone Stoll